
Entretien avec Christophe Benzitoun
Quelques questions à Christophe Benzitoun, enseignant-chercheur en linguistique française et pilier du comité scientifique d'Écrivor :-)
Christophe Benzitoun est enseignant-chercheur en linguistique française à l’université de Lorraine et membre du laboratoire ATILF. Il a très vite rejoint l’aventure Écrivor et travaille notamment sur les corpus scolaires et l’apprentissage de l’écriture. On est aussi fan de ses livres : Qui veut la peau du français ? et Le français va très bien, merci !
1) En quelques mots, peux-tu nous résumer ton parcours et tes recherches ?
J'ai été étudiant puis doctorant à l'université de Provence devenue depuis Aix-Marseille université à Aix-en-Provence. J'ai fait une thèse sur le mot quand en français puis j'ai été recruté en tant que maitre de conférences à l'université de Lorraine et au laboratoire CNRS Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF). J'ai une formation initiale en linguistique française portant plus particulièrement sur la syntaxe du français parlé. Je me suis intéressé dans un second temps à des questions relatives à l'écrit et à l'orthographe, mais avec comme porte d'entrée l'oral. Et donc je me suis orienté tout naturellement vers des problématiques relatives à l'enseignement du français écrit.
2) L'arrivée des grands modèles de langues a un impact colossal sur les champs du "traitement automatique des langues" et de la linguistique. Quel impact cela a-t-il eu sur tes recherches et sur celles de ton labo, l'ATILF ? Cela te donne-t-il envie d'explorer de nouvelles perspectives ?
J'adopte une démarche descriptive et pour cela j'utilise des logiciels développés dans le cadre de ce que l'on appelle la linguistique de corpus. J'aime bien contrôler les résultats que j'obtiens. Ma démarche outillée reste relativement artisanale. Des collègues de l'ATILF travaillent sur le TAL et l'intelligence artificielle du point de vue informatique ou de son utilisation dans le cadre de l'enseignement. De mon côté, j'ai mené des réflexions sur l'impact de l'IA sur la maitrise de l'orthographe et la motivation des élèves. À quoi bon apprendre une orthographe aussi complexe que celle du français si des logiciels peuvent faire ça à notre place sans effort ? Je me suis aussi penché sur l'évaluation de l'efficacité de la plateforme de remise à niveau en orthographe Projet Voltaire. Et pour finir, le partenariat avec Écrivor me permet d'explorer les potentialités de l'IA quand elle est accompagnée par des experts de l'enseignement de l'écrit.
3) Tu as participé à la rédaction de l'ouvrage Le Français va très bien, merci (lien) avec Les Linguistes atterrées. Peux-tu nous dire ce qui t'atterre le plus dans l'enseignement de l'écriture aujourd'hui ?
Ce qui m'atterre particulièrement dans l'enseignement de l'écriture aujourd'hui, c'est le fait de mettre élèves et professeurs en situation d'échec. Je m'explique. Le français écrit, notamment à cause de son orthographe peu systématique et en partie muette, nécessite énormément de temps pour être maitrisé. Cela nécessite un très haut degré d'expertise. Or, énormément de personnes sont convaincues que tout francophone devrait maitriser le français écrit à la perfection, ce qui est impossible. C'est un peu comme si on demandait à tout le monde d'avoir le même niveau qu'un footballeur professionnel. Et l'orthographe occupe une place trop importante, permettant difficilement de travailler les autres dimensions de la langue écrite qui sont au moins tout aussi importantes. On passe donc beaucoup de temps à enseigner pour un résultat qui ne paraît pas à la hauteur.
4) Une idée reçue sur la langue française que tu aimerais officiellement condamner auprès de tous les enseignants ?
Il y a eu une époque bénie où une très large majorité de Français maitrisaient la lecture et l'écriture, ce qui irait dans le sens d'un retour à des méthodes "traditionnelles". Cette époque n'a jamais existé.
5) On a parlé plusieurs fois de l'impact que l'IA aura dans l'éducation. Quels sont, selon toi, les principaux écueils à éviter pour que l'IA puisse être un véritable levier dans l'enseignement ?
Il faut maitriser une compétence avant d'utiliser un outil qui va automatiser une partie de la tâche. Par exemple, il faut apprendre les opérations de base avant d'utiliser une calculatrice. L'IA peut être un outil précieux pour accompagner un enseignement mais il ne doit pas s'y substituer.
6) Quels sont les points qui t'intéressent le plus sur Écrivor dans le cadre de tes recherches ?
Le fait qu'il va accompagner les élèves dans leurs raisonnements. Il s'agit de mettre en lumière les principales difficultés à partir de la collecte de textes produits par les élèves et de fournir en retour aux élèves des aides pour surmonter ces difficultés, sans pour autant leur apporter la bonne réponse. Les recherches montrent qu'il faut travailler sur le raisonnement pour obtenir, à terme, des automatismes. Écrivor devrait permettre de mieux cibler les zones de fragilité de chaque élève et de leur permettre de travailler de manière individualisée. Et on pourra en évaluer l'efficacité, ce qui représente une piste très prometteuse.
7) Pour finir, ton dernier choc littéraire (aie) ?
Édouard Louis.